Déontologie du pétomane.

La Chronique Mensuelle de Michel Onfray

N° 15 - Août 2006
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Déontologie du pétomane

A l’heure où une partie de la France part en vacances, les prolos en caravanes, les bobos en 4X4, et qu’une autre rentre pour reprendre le turbin, - le grand chassé croisé dit la femme tronc ou le beau black du journal télé -, je profite des congés des autres pour travailler à mon cours de l’année prochaine à l’Université Populaire. Moins de gêneurs, pas de journalistes, sinon les habituels stagiaires préparant un portrait pour le journal qui les exploite – portrait qu’on ne verra évidemment jamais paraître -, peu de parasites – lecture de manuscrits, désir d’une préface, sollicitation d’une conférence ou d’un piston, tout ça prend aussi des vacances… -, trêve de chronophage : mon chat à portée de main, je lis, je prends des notes, j’écris.

Lecture systématique de Bentham, Déontologie ou la science de la morale. Manuel d’éthique utilitariste, traité hédoniste du plus grand bonheur possible du plus grand nombre, catéchisme d’une morale faite par les hommes et pour les hommes, sans Dieu, j’apprécie. Second tome, sept cent cinquante quatre pages au total dans l’édition de 1834 que je lis : chapitre intitulé « la bienveillance effective négative » et j’y trouve des pages philosophiques qui montrent qu’avec les utilitaristes on s’ennuie moins qu’avec le dogmatisme ascétique d’un Kant.

Bentham propose en effet une petite philosophie du gaz d’échappement. Manquer sa relation éthique avec autrui donnerait chez Levinas des nuages d’opium rhétorique et conceptuels sans fin. Pas chez Bentham. C’est long, mais comme c’est drôle, je cite tout : il s’agit de la molestation dont le siège est dans l’odorat – vous me voyez venir : « La plus évidente est celle que produit l’émission de gaz par le canal alimentaire. Cette émission, en tant qu’elle provient de la partie inférieure de ce canal est presque toujours volontaire ; en sorte qu’en thèse générale, l’infliction de cette espèce de molestation est préméditée. L’individu qui l’inflige peut s’abstenir. Dans la production de cette sorte de molestation, bien que le sens en soit le siège immédiat, l’imagination joue le rôle principal : la même odeur qui, émanée de notre propre corps, ne nous aurait causé aucune molestation, nous devient insupportable lorsqu’elle émane du corps d’un autre ; et la molestation peut être mitigée ou aggravée par une variété de circonstances relatives à la personne de l’individu dont le corps en est la source. Comme dans ce mode de molestation, l’imagination a une très grande part, il peut avoir lieu sans une impression actuelle sur l’organe qui en est le siège naturel. L’éducation a beaucoup fait pour la suppression des molestations provenant de cette source. Le savoir-vivre qui a pénétré jusque dans les couches inférieures du sol social, a réussi à rendre rares ces actes regardés comme des preuves de grossièreté et de mauvais ton, au point de rendre leur exercice périlleux pour la réputation du délinquant ». Et Bentham d’enchaîner sur le rot, puis le crachat. Qui a dit qu’on s’ennuyait avec les philosophes ? Allez, j’y retourne…

Michel Onfray

ref: http://perso.orange.fr/michel.onfray/Chronique_Aout06.htm